La Société des Amis des Archives de France organise périodiquement des rencontres savantes sur un thème qui marque la contribution majeure des archives à l’écriture de l’histoire. Elle souhaite mettre en œuvre une rencontre analogue, consacrée aux « Archives des gens simples. ».
Un individu obscur qui aujourd’hui meurt solitaire laisse derrière lui un porte-monnaie et puis des pièces d’identité, et aussi des papiers personnels, soit des lettres chiffonnées et des photos effacées, peut être encore quelques objets tels que montre, médaille et bijou ou même, comme autrefois, des fleurs séchées et des mèches de cheveux. Ce sont là les limites habituelles des archives des gens simples ; elles sont brèves et pauvres, banales et énigmatiques à la fois car une part de leur signification s’est évanouie avec leur détenteur.
Deux sortes de traces s’y distinguent, celles du souvenir et celles de la nécessité sociale. Le pouvoir politique, le milieu d’existence imposent des titres de reconnaissance, des papiers officiels qui reflètent et autorisent l’identité, le statut, les moyens de chaque personne. L’affectivité peut avoir eu sa part dans le choix des actes publics que la personne a voulu conserver si longtemps ; ils lui parlaient de moments inoubliables : cachet de communion, missel, diplômes d’études, livret de mariage, récompenses militaires, certificats professionnels, etc.
Les archives de la vie privée, celles du pur souvenir sont plus incertaines, moins prévisibles car intimes et arbitraires. Ce sont d’abord des images qui représentent des parents, époux et enfants, et rappellent la place qu’ils ont tenu dans la vie. Ce sont aussi des textes – même chez des gens très peu accoutumés à la lecture – des lettres précieuses, d’amours ou même de malheurs. Quant à des restes matériels, comme mouchoir brodé, carte postale ou babiole porte bonheur ils appartiennent, bien sûr, à ce même patrimoine affectif ; ils témoignent d’émotions passées, de rares et riches moments de mémoire. Ce modeste héritage résume ce qui tenait le plus à cœur au défunt puisque dans la surprise d’une mort soudaine et dans un certain dénuement, ou encore dans l’isolement d’un âge avancé et dans le désintérêt d’une dernière phase de vie, il l’a gardé par-devers lui dans une poche intérieure, dans un balluchon, sur un appui de cheminée, dans un tiroir de table de nuit ou dans un casier d’hospice.
Ces documents de la vie des humbles tirent un intérêt archivistique de leur rareté même car leur banalité et leur discrédit ont le plus souvent entraîné leur destruction et empêché de prêter attention à la cohérence, à la valeur intrinsèque de chacun de ces recueils posthumes. De telles sortes d’archives représentent pourtant les titres les plus élémentaires de l’individu dans une époque donnée, les droits et obligations auxquels il a été soumis durant son existence fugitive. Bien plus, elles recèlent, pour qui sait les lire, des morceaux éclatés de récits de vie, tracés de trajectoires sociales, reliques de personnalités. Ces bribes de biographies innombrables seraient négligeables dans une stricte perspective statistique, elles deviennent précieuses si l’on postule que toute aventure humaine, toute expérience, pensée ou émotion individuelle détient son originalité, sa spécificité, non pas son unicité idéale mais certainement sa propre valeur historique si infime soit elle.
Les intervenants présenteront des cas exemplaires (quels que soient les temps et lieux) qui puissent illustrer le sujet. Quelles peuvent être les archives personnelles laissées par des gens obscurs, de tout niveau de fortune ou de misère ? Quelles sont les traces qui restent d’une existence médiocre, ou d’une éventuelle marginalité ? Au pire, que subsiste-t-il des situations de solitude comme rupture des liens familiaux, absence de rapports sociaux, mendicité, nomadisme ? Quelles normes de documents officiels, quels types de papiers privés recèlent les histoires de vie de telles gens ? Quelles institutions peuvent les conserver (caisses de retraite / monts de piété et prêts sur gages / œuvres caritatives / sources médicales, militaires ou judiciaires / hospices, hôpitaux, prisons, etc.) ?